Selon La Monographie illustrée des pots d’argile, Zheng Banqiao confectionna lui-même un pot et grava un poème à sa surface : “Son bec est pointu, son ventre gros et son manche haut placé. Avec lui je deviens fier dès que je n’ai pas faim et froid. Un objet si minuscule ne contient pas grand’chose, mais un peu d’eau peut aussi soulever des vagues.” En un tour magique, un pot de thé transcende les désirs vulgaires en éveillant des sentiments classiques et un goût oriental.
Un homme est assis tout seul dans son studio le matin ou au crépuscule, tandis que sur une théière se jouent les rayons du soleil tamisés par le treillage de bois de la fenêtre. La théière muette et l’homme tranquille tiennent harmonieusement compagnie l’un à l’autre.
Su Dongpo (苏东坡)est comparé au prunier chinois, Wang Wei (王维)à l’orchidée, Li Bai (李白)au bambou et Tao Yuanming (陶渊明)au chrysanthème. Ils étaient des âmes naturelles et des génies libérés de tout souci vulgaire. Avec un pot de thé on peut appréhender l’essence de l’art, percer le mystère de la nature, saisir l’esprit du bouddhisme, comprendre la philosophie de la vie et purifier son âme. Nous communiquons avec la théière d’argile pourpre.
Une vie émouvante aura baignée dans un service à thé pareil. Nous ne saurions décrire clairement les fleurs du printemps et la lune d’automne du temps jadis. Mais il demeure toujours du bon thé.
“On doit boire le thé sous une fenêtre collée de papier dans une maison au toit de tuiles. Deux ou trois amis partagent du thé vert préparé avec de l’eau de source et servi avec un pot et des tasses de céramique simples mais élégants. Une demi-journée de loisir équivaut alors à dix ans de vie passée. Après avoir pris des tasses de thé, on pourra reprendre chacun sa course à la renommée ou aux richesses, mais un petit moment de relaxation est absolument nécessaire. ” Ainsi disait Zhou Zuoren (周作人), frère de Lu Xun. Nous pensons à ces paroles dans une maison de thé , quand nous regardons dans la direction de Shaoxing (绍兴).
Lu Xun (鲁迅)avait 15 ans cette année-là. Pupitres et chaises sont disposés dans le Cabinet de travail aux Trois Saveurs. Nous avons l’impression d’entendre la voix de Shou Jingwu (寿镜吾), précepteur d’une école privée, connu à Shaoxing pour son intégrité, sa simplicité et son grand savoir. Il leva la férule et cria : “Lisez à haute voix !” Obéissant, Lu Xun s’assit à son pupitre et lit à pleine gorge un passage d’un grand classique. Sur le mur de l’arrière-cour de son école le vieux maître écrivit une maxime : “On ne cultive les fleurs pendant dix ans que pour les admirer en dix jours. Comment peut-on laisser échapper les beaux jours aussi précieux que les perles et le jade ?” Il loua Lu Xun comme “un garçon étonnamment intelligent et doué de nobles qualités, un digne descendant d’une famille de lettrés”.
Assis derrière son pupitre dans le Cabinet de travail aux Trois Saveurs, Lu Xun n’avait pas envie plus grande que d’aller dans le Jardin des Cent Plantes. Ce jardin-potager derrière la maison familiale donnait toujours un peu de consolation à son âme solitaire.
Il est inutile que je parle des carrés de légumes verts, des pierres glissantes qui entouraient le puits, du grand caroubier ou des mûres pourpres. Inutile que je parle des chants des cigales dans le feuillage, des grosses guêpes vautrées sur le colza des fleurs, ou des alouettes nerveuses qui, soudain, quittaient l’herbe et filaient vers le ciel. Le pied du long mur de pisé, qui entourait le jardin, était à lui seul une source d’un intérêt soutenu. Les grillons des champs y fainéantaient, tandis que les grillons domestiques chantaient joyeusement. Si vous retourniez un morceau de brique, vous trouviez un mille-pattes. Il y avait aussi des canthariades qui lâchaient des bouffées de vapeur par le derrière lorsqu’on appuyait sur leur dos. Les laiterons entrelaçaient les figuiers grimpants, dont les fruits rappelaient les calices de lotus ; les laiterons ont des tubercules bien gonflés. On racontait que l’on devenait immortel si on mangeait des tubercules à forme humaine, et j’en déterrais donc constamment. En déracinant un, je soulevais les suivants, et ainsi j’abîmais une partie du mur en pisé, mais je n’en ai jamais trouvé à forme humaine. Si on ne craignait pas les épines, on pouvait aussi cueillir des framboises qui se présentaient comme des chapelets de petits grains de corail. Elles étaient douces et aigrelettes, d’un ton plus délicat et d’un goût plus fin que les mûres.
Bien des années après, Lu Xun évoqua toujours avec une grande affection le jardin de son enfance.
Bien des années après, Lu Xin décrivit dans un style incisif le monde vu aux yeux d’un garçon. Grâce à sa plume, ces personnages se débattant dans les ténèbres sont demeurés gravés dans les esprits, alors que la sombre scène de la vie où ils ont évolué est devenue un paysage éternel de Shaoxing.
Nous voyageons maintenant à Shaoxing. Partout où nous allons dans cette ville, nous sommes touchés d’un charme poétique.
“Les flots du fleuve Jaune inondaient la vaste terre. C’était ici l’unique porte ouverte par le Ciel. Descendu du mont Kunlun à des milliers de kilomètres de distance, Yu le Grand (大禹)accomplit un exploit chanté à travers les âges.” Yu le Grand laissa les fleuves suivre leur pente naturelle et détourna les flots jusqu’à cette place.
Voici Gou Jian (勾践). Il accumula ses forces et remâcha ses leçons pendant dix ans pour se venger de l’ennemi.
Voici Wang Xizhi (王羲之) . Il écrivit la meilleure pièce de calligraphie de style courant dans l’histoire de la Chine.
Déclamant ses poèmes durant soixante ans, Lu You voyagea tout seul au Sud du Yangtsé en lisant dix mille volumes.
Enfin c’est Xu Wei (徐渭) qui “habite une maison menaçant de s’effondrer et parle un mélange de tous les dialectes”.
Quand tous ces talents s’en sont allés avec le temps, leurs gestes et leurs actes ont ému les vertes collines et les eaux bleues, et les eaux bleues et les vertes collines se remémorent toujours leurs physionomies et leurs voix.
Les grands talents s’en sont allés, mais les vertes collines et les eaux bleues sont demeurées, ainsi que les petits bateaux à tentes noires.
“J’avais un pot de vin à l’avant du bateau et un livre à l’arrière, j’ai pêché un poisson mandarin pourpre et lavé ensuite une racine blanche de lotus.”
Gou Jian disait qu’à Shaoxing les bateaux tenaient lieu de voiture et les rames remplaçaient les chevaux. L’histoire de Shaoxing est étroitement liée aux bateaux. Shaoxing vit sur les bateaux.
Ces bateaux marchent à la godille. Ils ont des tentes de bambou de forme semi-circulaire, enduites de suie et d’huile d’aleurite. On les appelle bateaux à tentes noires. Entre deux tentes fixes il y a une tente mobile semi-transparente, faite avec de minces morceaux de coquilles. Elle permet de se protéger du soleil, du vent et de la pluie tout en fournissant un éclairage naturel.
“Un petit bateau de huit pieds de long a deux tentes basses. Il navigue dans la brume ou sous la pluie autour de l’îlot des Lentilles d’eau. Le lac du Miroir (鉴湖) appartient naturellement aux gens oisifs, sans demander au gouvernement sa permission.”
C’était le bateau à tentes noires décrit par Lu You (陆游). Sous la dynastie des Song du Sud, les bateaux de cette espèce flottaient sur le lac du Miroir. Grâce à ces bateaux, les poètes d’alors menaient une vie sans souci et pleine de loisirs.
Aujourd’hui, quand l’utilité matérielle des bateaux à tentes noires va s’affaiblissant, ils n’ont rien perdu de leur valeur spirituelle. Ils sont un agrément local irremplaçable et une caractéristique constante de la culture de Shaoxing.
Grâce à Lu Xun, nous sommes restés longtemps à Shaoxing au cours de notre voyage dans le Sud du Yangtsé. Grâce à la Bibliothèque Tianyige (天一阁), nous nous dirigeons vers Ningbo(宁波).
Avant que Fan Qin (范钦)ne construise la Bibliothèque Tianyige, beaucoup de collectionneurs de livres ont vécu autour du lac de la Lune à Ningbo. Sous la dynastie des Song, Lou Yue(楼钥)bâtit la Bibliothèque Donglou (东楼)et Shi Shouzhi (史守之)la Bibliothèque Bizhi (碧沚). Sous les Yuan, Yuan Jue (袁桷)construisit la Bibliothèque Qingrongju (清容居). Sous les Ming, Feng Fang (丰坊)construisit la Biblliothèque Wanjuanlou (万卷楼). Bien des années après, seuls les noms de ces fameuses bibliothèques privées sont restés dans la mémoire des hommes.
|