Quand nous sommes arrivés au village, Madame Qiaojie était dans une ville du nord pour une foire d’artisanat. Agée de plus de 60 ans, elle est une brodeuse expérimentée. Ses petits sacs brodés se vendent bien dans de grandes villes, surtout dans des villes côtières. Dans ces villes, offrir un sac brodé, ce n’ést pas, comme dans la tradition locale, un privilège réservé aux filles amoureuses : les garçons y achètent aussi des sacs pour en faire cadeau à leurs fiancées, ce qui fait que les affaires de Qiaojie marchent très bien.
A notre avis, l’une des raisons du succès de Qiaojie est la belle qualité de son travail ; une autre raison s’explique par le fait qu’offrir un sac brodé comme symbole d’amour est un geste simple, mais plein de significations. Cependant, Qiaojie n’accepte pas les compliments des autres : «Non, mes sacs ne sont pas aussi bons que ceux que faisait ma belle-mère »
A cause de la broderie, Qiaojie avait eu souvent des problèmes avec sa belle-mère. Le premier matin après son mariage, sa belle-mère regarda longument ses chaussures, avant de lui demander : « Tu les a faites ? » « Oui » répondit Qiaojie. La vieille femme continua : « Je veux être franche avec toi, arrête de porter ces chaussures quand tu sort, les villageois sont très critiques, j’ai honte pour toi. » Qiaojir n’était pas femme à céder, elle s’exerçait chaque fois qu’elle en avait le temps. Quand elle fit des progrès, elle apporta son travail à sa belle-mère qui, après un rapide coup d’oeil, lui demanda avec mépris : « Qu’est-ce que c’est, ça ? » Qiaojie se retira et continua à s’exercer, ensuite elle montra ses nouvelles chaussures brodées à sa belle-mère qui ne dit plus rien cette fois-ci. La vieille femme était une brodeuse renommée dans la région ; nous n’avons pas pu admirer ses travaux ; mais selon les personnes âgées du village, ses fleurs brodés fleurissaient au soleil et ses poissons et ses crevettes étaient comme vivants.
Sur son lit de mort, la vieille dame appela Qiaojie et lui dit : « Ta broderie est plus ou moins présentable aujourd’hui, je meurs et maintenant c’est ton temps »
Les gens appelaient Qiaojie « Madame brodeuse », un nom que l’on utilise seulement dans ces régions au sud du Yangtsé. En effet, il n’est pas trop difficile pour nous de deviner si la fille rencontrée le long des sentiers ou des rivières est une paysanne ou une brodeuse
On peut le deviner à leurs mains. Des mains fines et longues aux doigts agiles appartiennent généralement aux brodeuses. Leurs doigts mènent à leurs cœurs. Elles ne doivent même pas regarder, leurs doigts tissent habilement des fils fins pour créer des motifs et des couleurs désirés. Après avoir mieux connu leurs doigts et leurs pensées, nous avons commencé à comprendre la signification de leur travail. Les collines enveloppées dans la brume, les villages au milieu d’arbres séculaires, les lacs parcourus de vagues et les fleurs d’abricotier au bord de l’eau, les oiseaux qui dansent sur les branches et l’herbe couleur jade dans les champs—chaque motif ainsi brodé est dû à leurs doigts ; même quand elles ne brodent pas, leurs doigts fins et agiles donnent libre cours à l’imagination. Ces brodeuses qui travaillent silencieusement dans leur village connaissent l’importance de leurs doigts pour leur vie. A partir du premier instant où elles ont pris l’aiguille, elles ne savent même plus combien de pièces elles ont brodées. Chaque pièce laisse une sensation et des traces invisibles sur leurs doigts. Regardez ce chat aux yeux brillants ou ces fleurs parfumées. Toutes ces oeuvres laissent des traces inoubliables. « Pouvez-vous garder ces souvenirs par vos doigts ? » La réponse des brodeuses est affirmative.
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