En octobre 2000, la Troupe d’Opéra Kunqu de Shanghaï a donné au Théâtre Chang’an de Beijing la version intégrale du « Pavillon de Pivoine » durant trois soirées consécutives. On ne se rappelle plus quand cette pièce avait été présentée dans son intégralité au public, à moins que l’on ne consulte les documents historiques. Les six troupes d’opéra Kunqu de Shanghaï, de Beijing, du Jiangsu et du Zhejiang représentent souvent quelques actes de la pièce, mais jamais la série complète.
Cai Zhengren, directeur
Troupe d’Opéra Kunqu de Shanghaï
«Cette pièce créée par Tang Xianzu il y a 400 ans comportait 55 actes qui devaient être souvent représentés en ce temps-là. Cependant, à l’époque moderne, soit depuis un siècle, même deux, on trouve dans les archives très peu de notes à ce sujet. Il est rare qu’une troupe soit en mesure de représenter la version complète. »
Il faudrait peut-être dix jours et dix nuits pour représenter les 55 actes du « Pivillon de Pivoine ». La version complète donnée par la Troupe d’Opéra Kunqu de Shanghaï n’est complète qu’en son sens moderne. 400 ans nous séparent de la naissance de cette oeuvre, la plus remarquable dans l’histoire dramatique de Chine. Témoin de l’âge d’or de l’opéra Kunqu et de son déclin, cette pièce demeure toujours le modèle parfait des arts dramatiques de Chine. C’est un miracle que les artistes , génération après génération, ont pu conserver ce chef-d’oeuvre jusqu’au 21ème siècle.
« Tant adorées sont les fleurs et les herbes ; si l’on peut vivre et mourrir à volonté, personne ne se plaindra de tristesse et d’amertume.» Comme le «Pavillon de Pivoine» décrit une légende dite «mourir dans un rêve et ressusciter dans un autre», son titre initial était l’«Histoire de la Renaissance». En voici le résumé : un jour de printemps, Du Liniang, fille du préfet Du Bao de Nan’an au Jiangxi, se promena, en compagnie de sa servante Chun Xiang, dans le jardin de sa résidence. Elle vit en rêve le lettré Liu Mengmei venir au rendez-vous avec elle sous un prunier du Pavillon de Pivoine. Depuis, elle pensa sans arrêt à son amoureux de rêve jusqu’à ce qu’elle rendît l’âme. Trois ans après, Liu Mengmei logea dans le jardin où il ramassa un tableau représentant le portrait d’une jeune fille. Ses cris répétés finirent par ressusciter Du Liniang. Ils formèrent ainsi un couple homme-fantôme. Enfin, Du Liniang révéla son identité à l’empereur. Cette union émouvante montre que « la vie peut engendrer la mort et la mort, engendrer la vie ».
Depuis des siècles, le « Pavillon de Pivoine », le « Palais de la Longévité» et l’«Eventail aux Fleurs de Pecher » sont considérés comme les trois chefs-d’oeuvre de l’opéra Kunqu. Ils décrivent respectivement le soupir pour la vie et l’amour, le regret de l’amour perdu et la douleur pour le pays conquis. ( Ils révèlent la voix du coeur des intellectuels de la société féodale.) Ces trois oeuvres légendaires, plus le roman « Le Rêve dans le Pavillon rouge », incarnent la vie spirituelle et le charme culturel vers la fin de l’époque féodale de Chine. Aujourd’hui encore, ils ne cessent d’être portés à la scène.
Dès sa naissance, le « Pavillon de Pivoine » est réputé comme la meilleure pièce sous le Ciel. Les lettrés et écrivains avaient chacun un exemplaire en main pour le lire à tout moment. Wang Xijué, un premier ministre retraité de l’époque habitant à Taïcang, ordonna à sa propre troupe d’opéra familiale de répéter cette pièce sans tarder et s’impatienta d’assister au spectacle. La représentation terminée, il fut si ému qu’il ne sut quoi dire.
Au moment de la création du « Pavillon de Pivoine » , l’opéra Kunqu était à son apogée. Souvent, une nouvelle pièce fut d’abord représentée par des troupes familiales de hauts fonctionnaires et de notables, puis par d’autres troupes professionnelles ; ces troupes familiales, depuis le règne de Wanli jusqu’à la fin des Ming, apparurent comme des champignons après la pluie ; elles symbolisaient la hiérarchie sociale.
Wu Xinlei, professeur
Université de Nanjing
«De l’époque Ming aux règnes de Kangxi et Qianlong des Qing, soit durant 300 ans, l’opéra Kunqu était le plus en vogue. Selon des archives, la famille de Cao Xueqin a eu également sa propre troupe. Son grand père, Cao Yin a été chargé, sous le règne de Kangxi, de la fabrique de tissus de Jianning. Sa troupe d’opéra familiale était bien connue à Nanjing. Une fois, pour mettre en scène le « Pavillon de la Longévité », il a même invité l’auteur Hong Sheng chez lui. Le spectacle a duré trois jours et trois nuits.
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